L’HYPOTHYROÏDIE CHEZ LE NOURRISSON ET L’ENFANT

Richard Levy, M.D.
Professeur adjoint de médecine et de pédiatrie Rush-Presbyterian/St. Luke’s Medical Centre, Chicago, Illinois

Historique d’un cas
Peter R, un adolescent de 15 ans, a été dirigé par son pédiatre vers un spécialiste en endocrinologie infantile à cause d’une diminution de son taux de croissance depuis l’âge de 10 ans.

Les antécédents médicaux de Peter n’avaient rien d’inhabituel, mais ses parents étaient inquiets de sa petite stature et avaient remarqué qu’il s’intéressait moins aux sports, qu’il était indolent et difficile à motiver.

Un examen médical a révélé ceci : petite stature, plutôt trapu pour un sujet mâle, teint cireux, élocution normale, comportement normal – aucun signe apparent de léthargie. Sa thyroïde était palpable mais non tuméfiée. Sa tension artérielle était de 90/50 mmHg et son rythme cardiaque de 62.

Peter a été évalué comme étant au stade 3 de la puberté, selon l’échelle Tanner, ce qui était normal pour son âge. Ses réflexes ostéo-tendineux semblaient normaux, et son développement musculaire plutôt bon bien qu’un examen ultérieur ait révélé la présence d’une hypertrophie pseudo-musculaire associée à l’hypothyroïdie (syndrome de Debré-Semelaigne). Son âge osseux était celui d’un garçon de 12 ans et demi.

Le niveau de T4 de Peter était inférieur à 1 µg/dl, son taux de fixation de la T3 sur résine était de 36 %, et sa TSH à >64 unités S.I. Des titres d’anticorps antithyroïdiens élevés ont permis d’établir un diagnostic de thyroïdite lymphocytaire chronique (TLC) – ou maladie de Hashimoto.

Soumis à une hormonothérapie substitutive de 0,1 mg par jour de comprimés de lévothyroxine, Peter a vite commencé à rattraper sa courbe de croissance. Son tient est redevenu normal et, selon ses parents, il déborde maintenant d’énergie. Une nouvelle analyse de la T4 a donné un résultat de 8,0 µg/dl, et un dosage immunométrique hautement sensible a révélé une TSH de 0,76 unités S.I., soit à l’intérieur des valeurs normales (0,7-5,0).

Peter R. : tableau clinique typique d’un adolescent
On a trouvé que Peter avait contracté une hypothyroïdie due à une thyroïdite lymphocytaire – maladie de Hashimoto – qui est de loin la cause la plus répandue d’hypothyroïdie vers le milieu ou la fin de l’enfance et l’adolescence puisqu’elle survient chez 1,2 % de la population d’âge scolaire. Bien qu’on n’ait encore identifié aucun antigène d’histocompatibilité (HLA) qui indiquerait une prédisposition à la maladie de Hashimoto, il existe une tendance familiale à cette maladie et une prédominance de 4:1 chez les sujets féminins par rapport aux sujets masculins et chez les personnes de race blanche par rapport à celles de race noire. L’élévation des anticorps antithyroïdiens est une manifestation de la destruction d’origine immune du tissu thyroïdien. La maladie de Hashimoto a été associée à d’autres dérèglements auto-immuns, dont la maladie d’Addison, l’hypoparathyroïdie (ainsi qu’une forme de pseudo-hypoparathyroïdie), l’anémie pernicieuse et le diabète sucré insulinodépendant. On l’a également associée aux syndromes de Turner et de Klinefelter.

Parmi les autres causes d’hypothyroïdie acquise, on compte l’ingestion d’éléments goitrogènes, le traitement de l’hyperthyroïdie (y compris l’iode 131 et la chirurgie) et un dysfonctionnement hypophysaire ou hypothalamique.

Hypothyroïdie congénitale
L’hypothyroïdie congénitale, qu’on retrouve chez les nouveau-nés et les très jeunes enfants, est plus rare ; elle ne survient que chez environ un sur quatre ou cinq mille patients testés, la prédominance des sujets de sexe féminin par rapport à ceux de sexe masculin étant de 2:1, et de race blanche par rapport à ceux de race noire, au-delà de 5:1. L’hypothyroïdie congénitale peut être due à plusieurs étiologies:

  • La dysgénésie thyroïdienne, y compris l’aplasie et l’hypoplasie de la glande thyroïde ; l’ectopie de la thyroïde, souvent accompagnée d’hypoplasie, condition où le tissu est insuffisant pour répondre à la demande du nourrisson ou de l’enfant qui grandit. Ensemble, ces anomalies comptent pour plus de 80 % des cas. On peut obtenir un diagnostic définitif au moyen d’une scintigraphie à l’iode 123 ou au technétium 99m.
  • La dyshormonogénèse, grave anomalie dans la synthèse de l’hormone thyroïdienne. Il peut aussi y avoir absence de réponse de l’organe récepteur, des défauts dans les récepteurs de la thyroïde ou des tissus en périphérie.
  • L’hypopituitarisme (hypothyroïdie secondaire) due à une aplasie hypophysaire ou à des défauts de développement du cerveau médian. Il peut également y avoir dérèglement hypothalamique (hypothyroïdie tertiaire).

Défaut de croissance
L’aspect clinique de Peter, ses antécédents médicaux et son profil biochimique constituent un tableau classique d’hypothyroïdie secondaire à la maladie de Hashimoto déclenchée à l’adolescence. Le retard de croissance de celui-ci entre le milieu et la fin de l’enfance a mis la puce à l’oreille de son pédiatre. L’hypothyroïdie est de loin la cause endocrinienne la plus fréquente de défaut de croissance dans ce groupe d’âge.

La baisse d’intérêt pour l’exercice physique et le manque de motivation observés chez Peter par ses parents auraient pu être considérés simplement comme des manifestations typiques de l’adolescence, ou encore – envisagés comme faisant partie d’un tout – diagnostiqués comme de la fatigue ou de la léthargie causée par l’hypothyroïdie.

Peter avait le teint jaunâtre (dû à une forte concentration de carotène), une faible tension sanguine, un rythme cardiaque lent, une hypertrophie pseudo-musculaire et un retard de croissance osseuse. Bien que ces signes ne soient pas nécessairement diagnostiques, ils viennent compléter toute une chimie sanguine qui indique clairement la présence d’hypothyroïdie causée par une maladie thyroïdienne auto-immune : T4 ( 1µg/dl, taux de fixation de la T3 sur résine = 36 %, TSH >64 unités S.I., titre antimicrosome élevé (1:1600) et taux de cholestérol également élevé (304 mg/dl).

Cholestérol. Un taux de cholestérol élevé comme celui de Peter peut constituer un bel indice d’hypothyroïdie pour le pédiatre averti, même avant que n’apparaissent les signes de la maladie. Comme le cholestérol fait partie de l’analyse SMA habituelle, il constitue un indicateur économique et accessible. Grâce au mouvement pour la détection précoce et la prévention des maladies cardiaques, les pédiatres commencent à montrer un intérêt renouvelé pour les taux de cholestérol et de triglycéride de leurs patients. Il vaut la peine de noter que, contrairement aux triglycérides, le taux de cholestérol est relativement exact lorsqu’on n’est pas à jeun.

Goitre. Le fait que Peter n’avait pas de goitre ne devait pas empêcher d’établir un diagnostic de maladie de Hashimoto. Si le tissu thyroïdien est stimulé par la TSH de l’hypophyse, il peut y avoir goitre, mais il n’y en aura pas si le tissu thyroïdien du patient est insuffisant ou si la thyroïde est essentiellement «finie» quand la maladie est enfin dépistée.

Titrage et remplacement chez l’adolescent . Je traite les adolescents avec des comprimés de lévothyroxine parce que j’estime que c’est une bonne médication physiologique par opposition à une préparation combinant la T3 et la T4. Bien qu’il existe des directives de dosage selon le poids et la taille pour le titrage des bébés et des enfants en bas âge, le traitement de remplacement par titrage pour les adolescents est un procédé plutôt subjectif, par tâtonnements.Sachant que les comprimés de lévothyroxine ont une demi-vie assez longue (de 7 à 9 jours) et que l’organisme de Peter l’éliminerait plus lentement en raison de son hypothyroïdie de longue date, j’ai choisi une dose initiale relativement faible, soit 0,1 mg, pour sa taille globale (environ 2 µg/kg).

Comme je l’ai fait avec Peter, je revois un patient hypothyroïdien nouvellement diagnostiqué 4 à 5 semaines après le début du traitement. Je teste alors sa réponse au traitement aux comprimés de lévothyroxine en mesurant la fixation de la T3 et de la T4 sur résine et en utilisant une méthode de lecture de la TSH hautement sensible. Je répète le processus environ 3 à 4 mois plus tard afin de m’assurer que la croissance du patient a fait des progrès. Je vois ensuite le patient tous les 6 mois pour vérifier que sa réponse au traitement de remplacement à la lévothyroxine n’a pas changé, et cela jusqu’à ce que sa croissance staturale soit essentiellement terminée. Lorsqu’on surveille le taux de TSH, plutôt que seulement la fixation de la T3 et de la T4 sur résine, on voit tout de suite si le patient a pris ses médicaments régulièrement ou s’il a tenté de reprendre le temps perdu juste avant de venir en consultation, étant donné que les niveaux de TSH prennent de 3 à 4 semaines avant de montrer le plein effet de l’hormonothérapie thyroïdienne de remplacement.

Hypothyroïdie néonatale
L’hypothyroïdie chez le jeune enfant, particulièrement chez le nouveau-né, est réellement une situation d’urgence. Comme le développement normal du cerveau et des tissus neutres au début de la vie exige un niveau adéquat d’hormone thyroïdienne, une déficience de cette hormone peut causer des handicaps mentaux et physiques graves et irréversibles, état connu sous le nom de crétinisme. Or, nous savons que la majeure partie du développement du cerveau, soit 90 %, survient durant les deux premières années de la vie.

À cause des implications sérieuses qu’entraîne une déficience thyroïdienne non décelée dans ce groupe d’âge, un programme national de dépistage est tout à fait justifié du point de vue clinique aussi bien que financier.

Dépistage. De nos jours, aux États-Unis, tout nouveau-né est soumis au dépistage d’un niveau trop faible de T4 entre le 3e et le 4e jour de sa naissance, en même temps qu’on tire un peu de son sang sur un papier filtre pour le test de phénylcétonurie (PKU). Habituellement, une mesure de la TSH est effectuée sur la même tache de sang chez les enfants dont les résultats de T4 se situent dans la tranche inférieure de 3 à 10 %. Un programme de second dépistage systématique à l’âge de 4 à 6 semaines a permis d’améliorer de plus de 10 % la détection de l’hypothyroïdie congénitale. Les résultats sont envoyés directement au pédiatre. Dans les cas où la T4 est faible et la TSH élevée, on doit de nouveau faire subir au patient les tests T4 et TSH avec les déterminations habituelles.

Effet sur l’intelligence. Plus l’on tarde à traiter l’hypothyroïdie de l’enfant, plus grande sera sa perte de capacité intellectuelle, mesurée par les tests d’intelligence standards (quotient intellectuel – QI). On a démontré que le QI ultime était notablement plus élevé chez les enfants dont l’hypothyroïdie avait été décelée et traitée avant qu’ils n’aient atteint 6 semaines, par rapport à ceux dont l’hypothyroïdie n’avait pas été traitée durant les 6 à 12 premières semaines.

Valeurs-limites de T4. Étant donné que l’hypothyroïdie néonatale est habituellement causée par une glande thyroïde ectopique ou hypoplasique, un peu d’hormone thyroïdienne peut avoir été libérée et être captée lors de la mesure de la T4. De petites quantités additionnelles d’hormone peuvent également être absorbées par le lait maternel. Par conséquent, les pédiatres doivent faire montre d’une grande suspicion à l’égard d’une valeur T4 allant de basse à normale, et faire subir un nouveau test au patient aussitôt que possible.

Tableau clinique. À toutes fins pratiques, au-delà de 90 % des cas d’hypothyroïdie néonatale sont décelés au moyen d’une analyse de laboratoire, ce qui diminue les occasions d’établir un diagnostic clinique. À l’occasion, toutefois, je découvre un rapport dans les revues médicales concernant un patient dont l’hypothyroïdie a été masquée par le syndrome de Down. Cela montre bien la nécessité pour le médecin d’aiguiser ses capacités diagnostiques afin de repérer, à l’occasion, le bébé ou jeune enfant qui aurait pu échapper au dépistage. Cela fait également ressortir l’association à l’hypothyroïdie d’autres anomalies congénitales (jusqu’à 20 %) qui peuvent en fausser le diagnostic.

Le nouveau-né hypothyroïdien peut présenter un vaste éventail de symptômes qui peuvent être attribués à une variété d’autres dérèglements. Toutefois, lorsqu’on les évalue en tant que partie du tableau global, on reconnaît les signes et symptômes classiques de l’hypothyroïdie chez le jeune enfant : jaunisse, difficultés à la tétée, cri rauque, léthargie, hypothermie, hypotonie, abdomen distendu et peau tachetée. Avec le temps, on peut également remarquer une macroglossie, une hernie ombilicale et des fontanelles apparentes.

Urgence d’une hormonothérapie de remplacement chez le nouveau-né
L’opinion médicale la plus récente préconise que les nouveau-nés qui présentent un niveau de T4 allant de bas à normal et un taux de TSH élevé (<10 unités SI) après les quelques premières semaines de vie, devraient être considérés hypothyroïdiens et recevoir un traitement jusqu’à l’âge de 2 à 3 ans. Après cette période, si l’on se demande si les résultats représentaient une condition transitoire (comme le transfert placentaire d’éléments goitrogènes maternels et d’anticorps antirécepteurs de TSH), on peut alors supprimer sans danger l’hormone thyroïdienne de remplacement et mesurer les niveaux de T4 et de TSH après 3 à 4 semaines.

Dans tous les cas, le traitement doit être entrepris rapidement puis contrôlé, étant donné qu’un dosage de remplacement excessif ou insuffisant a des conséquences graves qui affecteront l’enfant sa vie durant.

  • À long terme, une hormonothérapie thyroïdienne de remplacement excessive peut causer une craniosténose – fermeture prématurée des sutures du crâne – et une maturation anormale du cerveau. La fermeture des épiphyses et l’ostéoporose comptent parmi d’autres effets éventuels d’un surdosage sur le squelette. Les enfants soumis à un traitement excessif sont irritables, nerveux et gagnent difficilement du poids.
  • À long terme, une hormonothérapie thyroïdienne de remplacement insuffisante retarde le développement physique et intellectuel et pose toutes sortes de problèmes associés à l’hypothyroïdie.

Titrage néonatal. Je considère qu’un dosage de 12 à 15 µg/kg de comprimés de lévothyroxine est une posologie initiale raisonnable pour un nouveau-né. Après deux semaines, je diminue le dosage pour tenter de maintenir la T4 entre 10 et 15 µg/dl. Je vois le patient et contrôle la fixation de la T4 et de la T3 sur résine et lui fait subir un test de mesure de TSH hautement sensible à intervalles de 1 à 2 mois durant la première année, puis à tous les 3 à 4 mois au cours de la deuxième, période exceptionnelle pour la rapidité de la croissance et la demande hormonale. Il existe des preuves récentes que de petites variations passagères dans les concentrations de TSH de tests hautement sensibles ne sont pas particulièrement significatives.

Il se peut que l’enfant hypothyroïdien soit protégé contre un dosage excessif par une transformation accrue de la T4 en T3R, qui est une hormone relativement inactive, au lieu de la T3, qui semble être la plus importante dans la régulation du niveau de TSH. Le meilleur indice d’une thérapie à la thyroxine optimale est peut-être une réponse normale à l’administration de TRH (hormone de libération de la TSH). En règle générale, on arrive à un dosage de remplacement stable vers l’âge de trois ans.

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