Troubles oculaires associés aux affections

par Docteur R.A. Bell, M.D.
Université Queen’s, Kingston, Ontario

De nombreux termes ont été proposés pour nommer les complications ophtalmiques qui découlent d’un dérèglement de la glande thyroïde. L’expression «troubles oculaires associés aux affections thyroïdiennes» permet toutefois de décrire de façon simple une série de signes et de symptômes non spécifiques en soi mais qui, ensemble, forment un tableau clinique très caractèristique.

Ces troubles, qui sont associés à un mauvais fonctionnement de la thyroïde, peuvent apparaître : a) avant l’installation de la maladie thyroïdienne, b) accompagner l’hyperthyroïdie ou l’hypothyroïdie, ou c) se manifester immédiatement après le traitement ou plus tard.

On ne connaït pas l’étiologie de ces troubles, mais il semble qu’elle s’apparente à celle des maladies thyroïdiennes, même si ces maladies ne sont pas directement à l’origine des troubles ophtalmiques. Les manifestations oculaires sont provoquées par l’accumulation de liquide et de cellules inflammatoires dans l’orbite, ce qui induit la formation de tissu de cicatrisation et peut entraŒner la compression de certaines structures de l’oeil. On croit qu’une réaction immunitaire serait responsable de cette accumulation de liquide et de cellules inflammatoires. Cette théorie n’est cependant qu’une hypothèse. L’incidence des désordres oculaires chez les patients atteints d’affections thyroïdiennes varie entre 40 et 90 pour cent. Toutefois, il n’y a tout au plus que 5 pour cent des patients qui sont atteints de troubles sérieux. Parlons maintenant du pronostic de ces troubles oculaires. Soulignons tout d’abord qu’il est pratiquement impossible d’en prévoir l’évolution au début de la maladie. En deuxième lieu, dans la plupart des cas ces troubles oculaires progressent indépendamment de la maladie thyroïdienne, et le traitement de la thyroïde ne les prévient pas nécessairement. Dans certains cas, ils apparaissent même après guérison de la maladie. En troisième lieu, les symptômes s’installent généralement assez lentement, sur une période de plusieurs mois, mais peuvent aussi survenir rapidement. Quatrièmement, les changements sont habituellement bilatéraux mais peuvent être asymétriques (un oeil étant plus affecté que l’autre). Enfin, ils progressent surtout durant une période initiale de 6 mois à 3 ans, mais après stabilisation, les récidives sont extrêmement rares. La guérison complète est peu fréquente, mais il y a généralement une amélioration progressive des signes et des symptômes. Pour le malade, il est préférable de caractériser les changements oculaires en troubles légers, modérés ou graves, et de lui expliquer les complications oculaires susceptibles de survenir, individuellement ou en association. Contrairement à la croyance populaire, le glaucome n’est pas associé aux affections thyroïdiennes.

Absence de symptômes

Il importe de souligner que les troubles oculaires n’accompagnent pas toutes les maladies thyroïdiennes. Les patients atteints de ces complications peuvent aussi souffrir de diverses autres maladies oculaires qui peuvent simuler une condition associée aux affections thyroïdiennes. L’examen ophtalmologique, qui permet généralement d’établir un diagnostic, est donc indiqué.

Rétraction de la paupière

La rétraction vers le haut de la paupière supérieure, exposant une plus grande portion du globe oculaire, peut donner au patient une expression rêveuse ou colérique, un regard fixe ou des yeux proéminents. Si le patient n’est pas conscient de ce qui lui arrive, il comprendra mal les remarques désobligeantes dont il pourra faire l’objet. La rétraction des paupières peut irriter ou assécher les yeux, mais elle cause rarement des troubles graves. Le patient peut souvent améliorer son apparence et se protéger les yeux de la poussière et du vent en portant des verres choisis avec soin. Les gouttes pour les yeux, comme la guanéthidine, qui paralysent les muscles de la paupière supérieure et permettent de mieux protéger l’oeil, sont parfois prescrites. Ces médicaments sont cependant absorbés par le système et peuvent avoir des effets secondaires nocifs. Ils sont donc à éviter. Une intervention chirurgicale pour relâcher les muscles de la paupière et lui permettre de reprendre sa position normale donne souvent de bons résultats.

Fermeture incomplète de la paupière

Lorsqu’elle ne se ferme pas complètement, la paupière expose la cornée et peut provoquer une sécheresse, une rougeur ou une irritation de l’oeil, qui devient plus sensible à la lumière. Les patients peuvent parfois se faire dire qu’ils « dorment les yeux ouverts ». Dans la plupart des cas, cet état n’entraîne pas de complication grave, et l’utilisation de collyres (gouttes pour les yeux) permet de bien humecter les yeux. Dans les cas graves, une médication systémique (comme la cortisone), une intervention chirurgicale ou un traitement de radiothérapie peut s’avérer nécessaire. Nous en reparlerons plus loin.

Gonflement des tissus

Lorsque du liquide s’accumule dans les paupières et le blanc des yeux, l’oeil devient rouge, enflé, irrité, sensible à la lumière, et larmoyant. Cette apparence peut, à tort, faire passer ces patients pour des couche-tard. Dans la plupart des cas, ce gonflement des tissus n’entraîne aucune complication ophtalmique grave. On peut souvent réduire l’accumulation de ces liquides en soulevant la tête de son lit pour dormir. Là encore, le port de lunettes peut protéger les yeux contre la poussière et le vent, et améliorer l’apparence. Les collyres permettent souvent de soulager l’irritation. Dans les cas graves, il faut encore une fois recourir à une médication systémique, à la chirurgie ou à la radiothérapie.

Exophtalmie

L’exophtalmie est une affection caractérisée par la saillie des yeux à l’extérieur de l’orbite, causée par l’accumulation de liquides dans l’orbite. Selon que la protrusion oculaire est plus ou moins prononcée, les yeux peuvent devenir secs, rouges, irrités et sensibles à la lumière et la vue peut devenir brouillée. Dans les cas légers, l’exophtalmie n’entraîne pas de complication. Le port de verres et l’utilisation de gouttes pour les yeux donnent souvent de bons résultats. Dans les cas graves, il peut être nécessaire de recourir à une médication systémique, à la chirurgie ou à la radiothérapie.

Troubles de la cornée

La cornée est le tissu transparent, à l’avant de l’oeil. Elle est essentielle à la vue. Si elle est trop exposée à l’air, l’oeil peut devenir sec, irrité, sensible à la lumière, larmoyant et douloureux, et l’acuité visuelle peut parfois diminuer. L’exposition excessive de la cornée peut dépendre à la fois de la mauvaise fermeture ou de la rétraction de la paupière, et de l’exophtalmie. Dans les cas bénins, l’utilisation de collyres permet généralement de prévenir les complications. Dans les cas plus graves, par exemple s’il y a ulcération de la cornée, il peut être nécessaire de recourir à une médication systémique, à la chirurgie ou à la radiothérapie pour prévenir les lésions permanentes.

Ophtalmoplégie

L’ophtalmoplégie se caractérise par une augmentation de volume et des changements cicatriciels sur les muscles oculaires qui peuvent empêcher la synchronisation ou réduire les mouvements des yeux. Cette affection peut entraîner le strabisme, la diplopie (double vision) ou une vue brouillée.

Si la vision centrale ou vers le bas n’est pas affectée, l’ophtalmoplégie ne nécessite habituellement pas de traitement. Dans le cas contraire, le port de verres prismatiques peut permettre de régler les troubles légers. Dans les cas graves, on peut recourir à une médication systémique, à la chirurgie ou à la radiothérapie. Toutefois, dans la plupart des cas, l’ophtalmoplégie grave nécessite une intervention chirurgicale pour relâcher ou renforcer les muscles oculaires et rétablir la vision.

Neuropathie optique

La neuropathie optique est le résultat de la compression du nerf optique par la tuméfaction des tissus de l’orbite, condition qui gêne la vision centrale et périphérique. C’est une complication grave qui nécessite un traitement immédiat vigoureux, soit une forte dose de médication systémique, soit une chirurgie ou un traitement de radiothérapie. Si le diagnostic est précoce, on peut généralement empêcher une perte définitive de la vue.

Traitment

Le traitement vise à soulager les symptômes et à prévenir la progression de l’affection ou l’apparition de complications graves. Bien qu’aucun traitement ne puisse guérir cette maladie, on peut généralement empêcher une diminution importante et permanente de la vision. Les traitements se divisent en deux groupes : non pharmacologiques et médicaux.

Traitements non pharmacologiques

Les traitements non pharmacologiques comprennent le port de verres, les compresses chaudes, l’élévation de la tête du lit pour dormir et l’utilisation de collyres. Les verres permettent souvent d’améliorer l’apparence du malade et protègent les yeux de la poussière et du vent. Les compresses chaudes soulagent souvent les symptômes. On peut réduire l”accumulation de liquides dans les globes oculaires et autour des yeux en soulevant la tête du lit pour dormir. Les collyres sont très efficaces pour prévenir l’assèchement des yeux.

Traitements médicaux

Il y a trois principaux types de traitements médicaux : a) les médicaments systémiques, par exemple les stéroïdes ou le cyclophosphamide; b) la chirurgie; et c) les traitements de radiothérapie. Ces types de traitement sont indiqués s’il y a risque de perte permanente de la vue. Les diminutions permanentes de la vue sont cependant peu fréquentes et ces formes de traitement sont rarement nécessaires.

Les stéroïdes et le cyclophosphamide ont un effet anti- inflammatoire qui réduit l’oedème (gonflement) des tissus autour de l’oeil et peut permettre à l’oeil de reprendre sa position normale.

Les interventions chirurgicales peuvent comprendre le relâchement des muscles de la paupière supérieure et d’autres muscles responsables de la mobilité oculaire, et l’excision de tissus derrière l’oeil.

Les traitements de radiothérapie ainsi que les médicaments systémiques permettent de réduire l’augmentation de volume des tissus oculaires.

Tous ces traitements présentent des avantages et des inconvénients, et il est difficile de dire si l’un est supérieur à l’autre. Il importe cependant de bien informer le patient des divers types de traitement et de leurs avantages, inconvénients et complications éventuelles. Il faut aussi tenir compte des antécédents et des pronostics actuels du patient. Dans certains cas, le patient peut souhaiter consulter un autre médecin afin de se rassurer. Si la démarche est faite d’une manière franche et ouverte, elle peut se révéler profitable au patient aussi bien qu’au médecin traitant.

Résumé

En conclusion, voici quelques points importants touchant les troubles oculaires associés aux maladies thyroïdiennes :

1. Les maladies thyroïdiennes s’accompagnent souvent de troubles oculaires, mais dans la majorité des cas, ceux-ci ne sont pas graves.
2. Ces troubles peuvent apparaître avant, pendant ou après une affection thyroïdienne.
3. Il est extrêmement difficile de prédire l’évolution, la durée et la gravité de ces désordres, mais ils se manifestent généralement pendant une période de 6 mois à 3 ans, survenant après la maladie thyroïdienne. Lorsque le trouble oculaire est stabilisé, les récidives sont extrêmement rares.
4. Il est peu fréquent que les patients guérissent complètement, mais leur état s’améliore généralement.
5. Dans la plupart des cas, les traitements permettent de prévenir des séquelles permanentes graves.

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